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Les Gardiens de la Raison

Enquête sur la désinformation scientifique (2020)
 
La capture de l'argument rationaliste
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Plusieurs livres et enquêtes journalistiques ont montré que les industriels du tabac, des pesticides ou du pétrole fabriquent le doute sur les sujets scientifiques qui les affectent sur le plan commercial. Nous avons, chacun de nous trois – deux journalistes d’investigation et un chercheur en sciences sociales –, apporté notre contribution à la description de ces phénomènes. Si nous avons décidé d’entreprendre ensemble un nouveau livre, c’est parce qu'à nos yeux un degré supplémentaire a été atteint dans la manipulation de l’autorité de la science à des fins d’influence.

 

Les années 2000 ont été le décor du lobbying de ces « marchands de doute » et de leurs études sponsorisées dissimulant les dangers de leur chimie, de leurs sodas, de leurs gaz à effet de serre. Mais elles furent aussi, sans nul doute, celles du grand dévoilement. Les procès faits à l’industrie du tabac à la fin des années 1990 ont permis la mise en ligne de millions de documents confidentiels révélant les stratégies de leurs cabinets de relations publiques.

Ironie de l’histoire, c’est l’important travail de sensibilisation de l’opinion publique et de diffusion de ces informations par des chercheurs, des ONG et des journalistes qui a précipité la mutation et l’accélération des formes de manipulation de la science par le secteur privé.

L’industrie s’est adaptée à cette vague de scandales et de documentation de ses actes. Nous n’assistons plus seulement à un dévoiement de l’expertise scientifique, mais à un détournement plus profond des logiques mêmes de fonctionnement d’un espace public reposant sur un idéal de vérité.

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Micro-influenceurs et marketing digital
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Le livre aborde notamment les nouvelles stratégies furtives concoctées par le marketing digital. Pour certaines agences spécialisées dans la manipulation des réseaux sociaux, le nouvel horizon du lobbying scientifique est le citoyen ordinaire, le micro-influencer, comme dit le jargon du métier.

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Transformé en « relais de terrain », il diffuse des argumentaires conçus et façonnés par d’autres. Défense du climatoscepticisme au nom de la libre expression, antiféminisme au nom des soi‑disant « découvertes » des biologistes évolutionnistes ou des neurosciences : le micro-influencer dissémine et partage sur les réseaux sociaux une prose rédigée par une poignée d’intellectuels de campus convertis aux mots d’ordre ultra‑libéraux et libertariens.

Dans l’écosytème de la tromperie modern-style, la cible privilégiée des influenceurs n’est plus seulement le ministre ou le haut fonctionnaire de la Commission européenne, mais le professeur de biologie de collège, animateur d’un « café‑science », ou l’agronome éclairé, passeur de savoir sur son blog.

L'enrôlement des amateurs de science
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Les idées rationalistes faisaient partie des fondamentaux de la gauche et associaient la science au progrès ; elles sont aujourd’hui utilisées pour étouffer tout mouvement social qui tenterait d’employer les armes de la science pour argumenter. Des associations « à but non lucratif », en fait financées par l’industrie, mettent en selle des citoyens « ordinaires » qui demandent à leurs députés de prendre leurs décisions politiques sur la base de preuves scientifiques.

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Des amateurs de science sous perfusion de l’industrie réclament l’établissement de centres fournisseurs de matière scientifique prête‑à‑l’emploi pour les journalistes, à l’image du Science Media Centre britannique. Voire de hautes autorités chargées de contrôler la diffusion des informations sur les organismes génétiquement modifiés (OGM), le nucléaire ou les produits chimiques. Ce type de stratégies, qui consiste à prendre position au plus près du secteur public de la recherche et de la santé, va bien au‑delà d’une manufacture du doute.

Les lobbyistes du secteur privé sont ainsi transformés en auxiliaires permanents mais intéressés de la science, de la vérité et du bien commun. Si nous n’avons pas encore atteint le stade orwellien d’un ministère unifié de la Vérité, voilà déjà les brigades du Vrai qui entrent en action.

Les années 2020 seront résolument celles des fact-checkers autoproclamés, vérificateurs d’informations et chasseurs de rumeurs. Au‑delà de cet accapa‑ rement des lieux et des acteurs de la médiation scientifique, c’est aussi une véritable capture du langage qui est en cours. Au fil d’une dialectique passive‑agressive incessante, les mots et concepts inventés pour décrire ces statégies sont retournés à l’envoyeur. Ce sont les journalistes et les militants écologistes, et les chercheurs qui les ont analysées, que les accusés tentent de marquer du sceau de l’infamie en les qualifiant à leur tour de marchands de doute et de diffuseurs de fake news.

Enquête journalistique avec un sociologue embarqué, ce livre n’est ni une thèse en sciences sociales prête à être discutée dans des séminaires académiques ni un essai déclamant une pure opinion.

Il aborde de façon documentée, argumentée et empirique les évolutions les plus récentes des stratégies de lobbying dirigées vers l’information scientifique.

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